Les Chaises d’Eugène Ionesco
Création en coproduction avec le Taps Scala de Strasbourg du 31 mars au 05 avril 2009
Les Chaises » de Ionesco (1951) interroge le sens de la vie, les mystères de la création. Cette pièce n’est pas seulement une œuvre majeure de l’histoire théâtrale du XXe siècle, mais représente une véritable synthèse théâtrale nouvelle, dans le sens de l’exploration de la notion de « farce tragique ».
Le mécanisme théâtral part du comique, du burlesque, tout en semblant naître du comportement même des personnages , puis va en s’amplifiant et brusquement, par son outrance ou son dérèglement, devient tragique. Dans la pièce, nous assistons à ce double mouvement d’accélération et de ralentissement. L’accélération renvoie au « mécanisme ».
L’accélération, symbolisée par le ballet incessant des chaises que l’on apporte de plus en plus rapidement, leur accumulation, leur prolifération, reflète le cauchemar, le délire d’une pseudo civilisation et traduit de manière sensible la dépossession de l’homme, sa perte de contrôle sur le monde et sur lui-même.
« Ce tourbillonnement des chaises exprime l’évanescence, la vacuité du monde qui est là, qui n’est pas là, qui ne sera plus là ». Ionesco
Ionesco ambitionne de créer un théâtre symbolique, mythique, où « l’invisible » (l’endroit de la farce par excellence), devient « visible » (l’endroit du tragique inéluctable).
« Je me préoccupe seulement de personnifier, d’incarner un sens comique et tragique de la réalité. Je désire souligner par la farce le sens tragique du texte, le comique étant une intuition de l’absurde, une autre face du tragique ». Ionesco
Dans « Les Chaises », la navigation entre rêve et réalité, entre enfance et monde adulte, entre conscient et inconscient, est permanente. Comme il s’agit d’un théâtre intime et intérieur, la scène peut alors représenter la conscience, tandis que le hors scène, c’est-à-dire ce qu’on ne peut voir et qui est symbolisé par la mer, l’inconscient…témoigne des flux et reflux de l’âme, de même que son opacité, source de mystère et d’angoisse. Ce théâtre fantasmagorique et fantasmé se construit avec l’émerveillement et la virginité de l’enfance et l’intuition originelle du paradis perdu « C’était au bout, au bout du jardin…C’était un lieu, un temps exquis…C’est trop loin, je ne peux plus le rattraper…La branche du pommier est cassée… »
« Une de mes raisons d’écrire, c’est le besoin de trouver au-delà du quotidien, le mirage de l’enfance, la splendeur du premier jour ». Ionesco.
Chez Ionesco, le recours à la géométrie de l’espace est chose courante.
« Les Chaises » ne constituent pas un manquement à la règle. Ainsi, nous y trouvons la figure de la verticalité, représentée notamment par l’image du phare et l’objet théâtral de l’échelle, symbole du destin humain. Elle revêt un sens profondément métaphysique, celui de l’immobilité dans un monde en devenir, mais aussi celui d’une échappée qui conduit vers la liberté individuelle et la dignité de l’Homme.
Les personnages, à force de volonté, luttent contre la pesanteur de l’âge et du temps, mais ils veulent transmettre malgré tout un message à l’humanité pour la sauver et pour barrer la route à la décrépitude et à la mort. Le message est le signe de leur survivance. Le phare devient un moyen pour tenter de conjurer la malédiction de l’âge. En vain, la pièce se termine par une chute dans l’eau des personnages, incapables de soutenir leur rôle jusqu’au bout.
« Comme Job sur son fumier, Brutus sous sa tente, Tête d’Or sur son rocher, le vieux couple délirant des Chaises est en passe de devenir le symbole théâtral de l’impuissance des hommes à comprendre leur histoire ». Bertrand Poirot-Delpech (Le Monde)
« Le thème de la pièce n’est pas le message, ni les échecs dans la vie, ni le désastre moral des vieux, mais bien les chaises, c’est-à-dire l’absence de personnes, l’absence de l’Empereur, l’absence de Dieu, l’absence de matière, l’irréalité du monde, le vide métaphysique. Le thème de la pièce c’est l’évanescence, le rien, un rien qui se fait entendre, se concrétise, comble de l’invraisemblance ».
Eugène Ionesco
Mise en scène Christophe Feltz
Lumière et scénographie Daniel Knipper
Jeu Luc Schillinger, Chantal Richard et Elian Feltz
Musique Francesco Rees
Costumes Rita Tataï
Régie son Olivier Songy
Vidéo Luis Miranda
Photos Raoul Gilibert